Pour bâtir une société plus juste, des droits de séjour pérennes pour toutes les personnes en situation administrative précaire
Tribune de Modus Operandi et RUSF 38, publiée sur Libération.fr
Pour en finir avec des situations violentes et inextricables que connaissent les personnes en situation administrative précaire, nous réclamons des titres de séjour longs pour toutes les personnes – sans papiers ou titulaires d’un titre de séjour court ou sous récépissé en raison de la dégradation de leur situation sociale – pour un égal accès à l’autonomie, aux droits de vivre dignement et sereinement.
La crise sanitaire qui frappe aujourd’hui agit comme un révélateur de violences, d’inégalités et d’injustices, à bien des égards. Les obligations nouvelles imposées par le gouvernement pour contenir l’épidémie exacerbent la fragilité des personnes en situation administrative précaire et les exposent bien davantage aux risques de contagion, sans qu’ils puissent compter sur un recours aux soins tel que nous, citoyen·nes régulier·es, en disposons. Cette période de confinement renouvelle, à plus fortes raisons l’exigence de garantir l’égalité de traitement de toutes et de tous comme le plein exercice des droits fondamentaux.
Le refus de stabiliser leur présence sur le territoire provoque en chaîne leur appauvrissement en les privant de subvenir eux-mêmes à leurs besoins en travaillant; leur existence dans un habitat ultra-précaire, voire à la rue; leur état de santé détérioré de ce fait (les personnes exilées arrivent généralement sur le territoire en bonne santé et leur état de santé se dégrade en France); leur accès restreint aux soins; leur non-recours aux quelques droits dont ils et elles pourraient disposer, par manque d’information et d’accompagnement ; la répression du fait de la pénalisation de plus en plus grave de la migration…
Assumons-nous d’exposer à de tels risques des personnes dont la précarité est le seul résultat de l’administration?
En pleine épidémie, ces personnes n’ont pas un égal accès à la santé.
L’accès à l’aide médicale d’État (AME), pour les personnes sans-papiers, et à la Protection Universelle de Maladie (PUMa), pour les personnes en demande d’asile, a été réduit par des décrets publiés en décembre 2019, imposant un délai de carence supplémentaire de 3 mois. Quand elles disposent de cet accès à la santé, elles ne sont prises en charge que par les services d’urgence des hôpitaux publics et peuvent rarement se tourner vers la médecine de ville, pesant sur un service public hospitalier déjà restreint par les choix politiques néolibéraux et surchargés par l’épidémie en cours. Le plus souvent, elles ne recourent pas aux soins, par peur ou par manque de connaissance de leurs droits. Ces personnes venues chercher un refuge en France voient donc leur accès à la santé impacté, en dépit des éventuels traumatismes vécus et urgences à traiter.
En période de confinement, ces personnes n’ont pas accès au logement.
Comment se confiner quand on vit à la rue? Comment se protéger de la contagion et protéger les autres quand on est logé dans des hébergements collectifs où les sanitaires sont insuffisants ou lointains ou sans entretien? Les conditions dans les structures d’hébergement, en dortoir collectif le plus souvent, ne permettent pas de respecter la pratique des « mesures barrières » et compte-tenu du manque de personnel dans la gestion de ces lieux, les conditions d’un accompagnement social minimum ne sont plus remplies. Nous voulons rappeler qu’une forte proportion de personnes en situation administrative précaire n’est pas accueillie par les structures d’hébergement existant (centres d’hébergement d’urgence, foyers de travailleurs migrants, centres d’accueil pour mineur·es isolé·es, le dispositif pour demandeur·ses d’asile, hôtels) puisque les places restent insuffisantes, et doit trouver des solutions encore plus précaires dans des squats ou des camps, pour échapper à la rue. Les problèmes d’hygiène et d’accès à l’information peuvent y être encore plus aigus.
En période de confinement, ces personnes n’ont pas accès à une alimentation correcte et aux produits d’hygiène.
Le manque d’autonomie du fait d’une situation administrative instable voire irrégulière conduit à la précarité financière et oblige à dépendre des services sociaux largement sous-dimensionnés et saturés. La période actuelle entraîne une raréfaction des maraudes et des distributions alimentaires, ce qui ne suffit pas à répondre aux besoins des personnes. Le confinement donne également lieu à des situations où les personnes peuvent être empêchées de sortir de leurs campements pour accéder aux distributions alimentaires et aux points d’eau encore disponibles. Dans ces circonstances, les personnes étrangères enfermées, isolées, celles qui vivent à la rue, celles regroupées dans des squats, qui ont besoin d’aide sociale pour une partie de leurs besoins fondamentaux subissent la double peine : des conditions de vie indignes, et la crainte d’être encore plus vulnérabilisé.es par un recours aux droits sociaux devenu difficile.
En période de confinement, ces personnes n’ont pas accès aux ressources informelles qui leur permettaient de vivre.
Les mesures de restriction ne donnent plus l’occasion de compter sur leur propre capacité à se procurer les revenus nécessaires à leur survie et celle de leur famille car elles n’ont pas accès au droit de travailler. Quand elles étaient employées de manière non déclarée, le confinement a mis un terme à leur emploi, les privant de ressources, sans possibilité de déclarer cette perte pour espérer une compensation de l’État.
Enfin, la fermeture des administrations et des associations a conduit à geler les procédures d’examen de demande de titres de séjour et à ralentir l’accès aux droits sociaux. La prolongation de trois mois de tous les titres de séjour en cours de validité ne suffit pas à protéger les personnes concernées contre la perte de leur droit au travail et de leurs droits sociaux. L’impossibilité d’accéder à leur courrier pour les personnes qui dépendent de domiciliations associatives bloquent un certain nombre de démarches administratives et sociales (tels que l’accès à l’AME par exemple). Pour les personnes venues demander l’asile en France, elles devraient attendre la ré-ouverture des préfectures pour introduire leur demande : cela signifie pour elles de n’avoir aucune existence légale, aucun droit ouvert, jusque là.
Il en va de même pour les centres de rétention administrative (CRA) et les zones d’attente où des personnes étrangères sont parquées : dans ces lieux, ni leurs droits, ni les réglementations sanitaires ne sont respectés, créant pour elles des conditions discriminatoires et mortifères. Nous réclamons leur fermeture.
Les décisions du gouvernement pour lutter contre la propagation du virus ont des conséquences délétères pour ces personnes rendues invisibles et oubliées. Pour toutes ces raisons, cette épidémie ne fait qu’accentuer des hypocrisies qui perdurent. D’une part, les décisions administratives fabriquent des situations irrégulières et précaires empêchant leur autonomie. D’autre part, l’incohérence et le désengagement régulier des pouvoirs publics conduit à une gestion par l’urgence, forcément plus coûteuse.
Pourtant, un changement de perspective est possible : la délivrance de titres de séjours pérennes pour permettre à chacune et chacun de participer et contribuer à la vie sociale, politique et économique.
Pour être égales et égaux face à la lutte contre l’épidémie
Pour sortir de la honte d’être collectivement responsables de leur misère.
Des papiers pour tous et toutes! Personne n’est illégal·e ! Ouvrons d’autres possibles pour bâtir une société plus juste !
Pour nous faire entendre encore plus, nous vous invitons à partager les autres initiatives qui circulent et appellent à des droits au séjour pérennes.
Les signataires
Organisations
CSP 75, 59, 93 (Coordination des sans papiers 75), CISPM (Coalition Internationale des sans papiers et migrants), FASTI (Fédération des associations de solidarité avec tous les immigré·es) , GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s), AIDES, FUIQP (Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires), Roya Citoyenne, Survie, ANVITA (Association Nationale des Villes et Territoires Accueillants), Mouvement Utopia, Union syndicale Solidaires, Sud Éducation Université Grenoble, Association Le Paria, Paris, Association de Soutien aux Amoureux au Ban Public de Lyon, de Marseille, de Strasbourg et d’île de France (défenses des couples mixtes), RUSF Paris 1, Paris 8, 59 et 82 (Réseau Université sans Frontière), AADA (Association d’Accueil des Demandeurs d’Asile, Mulhouse), MRAP 66 et Ardèche, Compagnie Jolie Môme, Saint-Denis, Union Juive Française pour la Paix, ASTI Orléans, Centre Ardèche, ARDHIS (Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour) Paris, ADA (Accueil Demandeurs d’Asile, Grenoble), L’attrape-voix Grenoble, CARM, (Collectif d’Accueil Réfugiés en Matheysine), La Mûre, 38), Collectif de défense des étudiants sans papiers Toulouse, Collectif Jamais Sans Toit, Agglomération lyonnaise, ATMF, Association des Travailleurs Maghrébins de France; Attac 19/20, REMCC, Réseau Euro-Maghrébin Citoyenneté et Culture, TPC Maison solidaire, Ah Bienvenue Clandestins !, Bagagérue, Cercle des voisins du CRA Cornebarrieu, Copaf , Collectif pour l’avenir des foyers; CIVCR, Collectif Ivryen de Vigilance Contre le Racisme, Association pour la Démocratie, Nice; L’ACORT, L’Assemblée Citoyenne des Originaires de Turquie; PEPS, Pour une Ecologie Populaire et Sociale, FTCR des deux Rives, Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives, UTAC, Union des Tunisiens pour l’Action Citoyenne, CRLDHT, Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie, AITE, Accueil Information de Tous les Étrangers, Aix en Provence, ACDA, Agir pour le changement et la démocratie en Algérie, association Humanity, inclusion sociale des personnes exilées 71, Cibele (membre du CICP); Association Femmes Plurielles, Collectif AERéSP28, l’accueil des exilés et la régularisation des sans papiers d’Eure-et-loir, association ERIS, Lyon, Welcome Var, association Autremonde, COVIAM, Nice, RESF 82, CDDLE, Collectif de défense des droits et libertés des étrangers, Besançon; Cie du bazar au terminus, Vindry sur Turdine (69), Mouvement Utopia; Collectif Agir Ensemble, Saint-Etienne, Union Juive Française pour la Paix, Association ZEMBRA Écho, Paris; Collectif Vigilance pour les droits des étrangers, Paris 12ème; ASTIR, association de solidarité avec tous les immigrés de Romans sur Isère, La CUM, Coordination Urgence Migrants, Lyon, Association « Accueillir au Pays », Collectif Bienvenue Bordeaux, Association Accueil et soutien aux migrants, Villefranche sur Saône, association Les Nuits de la Roulotte, Chambéry, Gasprom- ASTI de Nantes, Collectif Migrant.e.s Comminges (31), Aude Réfugiés solidarité, Collectif Montreuil Palestine, Sud Éducation Université Grenoble, RSM 89, Réseau de Soutien aux Migrants de l’Yonne; C.L.A.P33, Le collectif Contre Les Abus Policiers; Le collectif Jaunes Etc 33, L’O.P.A, Orchestre Poétique d’Avant-guerre, Roya Citoyenne (06); association Asilaccueil 88, Vosges, Union Locale Villeneuvoise, Villeneuve-Saint-Georges (94), Coordination Communiste 59-62, APTI NIMES, AVIPO, Association des victimes de l’incendie de l’hôtel Paris Opéra, ULIS 91, Le Group, Consultants mutualisés Experts du Secteur Solidaire, Villeurbanne; C.C.A.D.H., Collectif Creusot-Autun des Droits de l’Homme, (71), association « Tous les Maquis » , Saint-Maure-des Fossés (94), collectif Jamais Sans Toit, Agglomération lyonnaise, Réseau Solidarité Migrants-Rouen , CATRED, Collectif des Accidentés du Travail, handicapés et Retraités pour l’Égalité des Droits, École THOT, École diplômante de français pour les demandeurs d’asile et les réfugiés, CNT-FTE, Confédération Nationale des Travailleurs -Fédération des Travailleurs de l’Education, CNT-SO (Solidarité Ouvière) 69, CNT 38, association TURBULENCES NOISIEL (77), Comité ATTAC Rennes , Union syndicale Solidaires,Tous Migrants, Refuges Solidaires, association d’accueil d’urgence des exilés à la frontière franco-italienne situé à Briançon (05), Association Barbarin & Fourchu, Grenoble, Fédération Solidaires Etudiant-e-s, Association Accueil Solidaire en Roannais, Collectif « chabatz d’entrar » (Haute Vienne), Waninga, compagnie de Théâtre issue du collectif Jeune de RESF Lyon, Tillandsia Lyon, LVN Personnalistes & Citoyens, Bagneux, Solidarité migrants Wilson, Saint-Denis 93, collectif intersquat exilé·e·s de Lyon, collectif Réfugiés du Vaucluse, association Ruetabaga, Grenoble, ASTI-RESF d’Asnières sur Seine, CCFD 69, association Interstices (38)