Prendre le micro c’est prendre la parole
L’atelier radiophonique A plus d’une voix se déroule dans des cours de français de l’association Accueil Demandeurs d’Asile, à Grenoble.
Les participants les plus avancés du cours se forment aux techniques de la prise de son et aux méthodes de l’interview pour aller à la rencontre de la société française. Les participants discutent les sujets de leur choix entre eux puis dialoguent sous la forme d’interviews et de débats avec des personnes invitées.
L’objectif est de favoriser une prise de parole en dehors du cadre contraignant de la procédure d’asile dans lequel celle-ci est non seulement soumise à des attentes mais aussi mise en doute. Notre démarche cherche à sortir de la logique de relégation et d’essentialisation qui établit une frontière symbolique et sociale entre « eux » – les étrangers marginalisés – et « nous » – les établis, ceux qui sont installés durablement en France.
L’espace de l’atelier radio inverse les rôles : les demandeurs d’asile interrogent les personnes établies. Il répond à la fois à la demande des personnes en demande d’asile ou étrangères de rencontrer les établis dont elles sont très isolées pendant le temps de la procédure, autant qu’au besoin de faire entendre leur parole, en réaction aux discours politiques et médiatiques en cours qui les heurtent et auxquels ils ont peu de moyens de répondre.
L’atelier radio A plus d’une voix cherche à rendre possible l’acte politique de la prise de parole pour que les nouveaux arrivants prennent une place à part entière dans le débat public ; pour changer le regard sur les migrations, préparer la société à accueillir, et, de manière réflexive, mieux comprendre notre société.
Modus Operandi intervient depuis 2016 dans les cours de français bénévoles de l’ADA en proposant des ateliers radiophoniques. Entre septembre 2016 et mars 2017, cette action intitulée “A nous la parole” se déroulait dans le cadre d’un partenariat avec DYADE, coopérative culturelle animant une web-radio La voix des gens. Puis en octobre 2017, l’action a été reprise par Modus Operandi avec de nouveaux objectifs de diffusions sous le nom “A plus d’une voix”.
L’atelier radio a été conçu sur la base des constats suivants :
- le thème des migrations est très médiatisé mais les premier·es concerné·es sont rarement entendu·es
- les premier·es concerné·es sont stigmatisé·es et renvoyé·es à des figures qui ne leur permettent pas d’être entendu·es pour ce qu’ils/elles sont
- ils/elles se trouvent souvent dans des relations asymétriques et sont souvent interrogé·es sur leur vie privée et leurs choix
- nouvellement arrivé·es, ils/elles ont des difficultés pour créer du lien avec les établi·es en dehors de leurs démarches administratives et des associations d’aide
Notre démarche cherche à sortir de la logique de relégation et d’essentialisation qui établit une frontière symbolique et sociale entre « eux/elles » – les étranger·es marginalisé·es – et « nous » – les établi·es, ceux et celles qui sont installé·es durablement en France.
En renversant les rôles et en proposant aux participant·es de construire des émissions radio et des documentaires sonores, de devenir les intervieweurs, notre pédagogie cherche à ouvrir un nouvel espace de parole et à donner une capacité d’action. L’outil radio, léger, et protecteur parce qu’il se soustrait à l’image, est un atout pour créer la rencontre, favoriser la confiance et diffuser à un public large. Le débat est une autre approche pédagogique utilisée pour favoriser la participation à la vie de la société par la discussion autour d’idées, de pratiques et d’analyses critique des politiques publiques sur la migration. Le choix d’intervenir dans des cours de français permet de travailler à renforcer la confiance des participant.e.s face à la violence symbolique du langage.
Prendre la parole
Les ateliers radio proposent un espace où la prise de parole se réalise au prétexte de la réalisation d’objets radiophoniques. Il s’agit de changer les modalités de la prise de parole. Habituellement, la prise de contact avec la société d’accueil se réalise dans le cadre administratif ou caritatif, et dans un cas comme dans l’autre, ces relations sont très asymétriques : les exilé·es sont dans une position de demande et de sollicitude. Dans ce contexte, ils/elles sont souvent interrogé·es sur leur parcours et leurs choix et ils/elles n’ont pas le pouvoir de dire « non », de ne pas répondre. Nous proposons dans cet espace de transformer ce type de relations. Le reportage radio rend possible, pour les exilé·es, d’aller à la rencontre des personnes dans la position du journaliste qui choisit son sujet et pose les questions.
Cette liberté et cette autonomie trouvent peu leur place dans la situation des personnes en demande d’asile. Ici au contraire, l’échange est inversé et la relation rééquilibrée. Cette possibilité d’être au cœur de la conception du reportage, en participant à la construction des questions d’interviews, au choix des lieux de rencontre et des personnes pour faire les interviews, permet que les participant·es aient un réel pouvoir sur la parole qui est véhiculée. Ce faisant, les exilé·es se réapproprient leur propre parole et, au- delà, leur propre image.
L’outil radio offre des possibilités multiples et s’adapte à des contextes variés. L’enregistrement et l’écoute radiophonique permettent de découvrir l’environnement qui nous entoure d’une autre façon. Le grain de la voix, les ambiances sonores et les paroles livrées prennent tout leur sens. L’auditeur devient attentif à chaque intonation de voix, chaque silence, chaque respiration. La légèreté du dispositif favorise une réappropriation rapide par les participants et surmonte la gêne occasionnée par la vidéo.
Prendre part au débat public
Prendre la parole suppose un travail de préparation pour être entendu. C’est pourquoi l’atelier radio est conçu comme un espace protégé où la parole est échangée et confrontée pour construire collectivement un discours et une analyse commune des injustices vécues pour être entendu dans l’espace public. Il s’agit dans un premier temps de renforcer la confiance. L’étape de la publicisation, c’est-à-dire la diffusion dans l’espace public de la parole permet de voir les personnes en demande d’asile comme des sujets politiques et non plus seulement comme des victimes.
On observe en effet qu’on entend plus souvent des journalistes, des universitaires, des travailleurs sociaux et des fonctionnaires au sujet de la migration, très médiatisé et très polémique dans le débat public. Pourtant, les premier·es concerné·es sont rarement entendu·es et ne se sentent pas toujours légitimes à prendre la parole. Les ateliers sont le lieu pour favoriser la libération de la parole, prendre confiance et réfléchir collectivement. Il s’agit de sortir de la parole victimaire et affirmer la citoyenneté par la participation à l’échange et du débat.
C’est à la fois l’occasion d’exprimer son opinion sur la société, sur la vie quotidienne et aussi de se confronter avec les idées des autres, dans la contradiction. L’expérience a montré que l’espace ainsi créé est saisi par les participant·es pour discuter des sujets d’actualité et prendre part au débat public (campagne électorale, enjeux de politique municipale, politique migratoire…). D’autant qu’à l’issue des ateliers, les émissions par leur diffusion et les événements qu’elles créent autour d’elles, produisent un contenu culturel et de l’information.
Une méthodologie d’action-recherche
Changer le regard sur les personnes à la recherche d’un refuge
Cet atelier cherche à construire une passerelle entre des personnes qui se côtoient rarement et ne se connaissent qu’à travers les représentations qu’en donnent les médias et les discours politiques. L’enjeu de changer le regard est de sortir des deux figures construites qui stigmatisent les personnes en demande d’asile : la victime et le fraudeur car ni l’un ni l’autre ne peut être entendu pour ce qu’il est. Les personnes en demande d’asile expriment souvent qu’elles n’ont pas d’occasion de rencontrer « les Français ». Elles partagent le sentiment d’être entre elles, qu’elles soient hébergées et prises en charge ou pas. Dans ce dernier cas, justement, elles sont encore bien plus isolées et désocialisées par une telle expérience du déclassement (vie à la rue, associations caritatives pour les besoins vitaux). Ajoutons
qu’une telle précarité de l’existence atteint la confiance et l’estime de soi.
Ces temps d’interviews entre participant·es et avec des personnes extérieures au groupe permettent d’aller à la rencontre de l’autre, à la découverte des pratiques, des modes de vie et de pensée des autres. Les rencontres et les échanges avec des personnes de tous horizons sont une façon de lutter contre les stéréotypes et les préjugés. Et c’est en se rencontrant qu’on découvre qu’on se ressemble. L’organisation d’événement public pour diffuser des documentaires sonores et promenades radiophoniques sont suivis d’échanges pour poursuivre le débat et la rencontre.
Co-produire du savoir par l’action-recherche
L’atelier radio constitue une action de recherche au sens où :
– il donne une possibilité de comprendre l’expérience de l’exil par l’échange avec les premier·es
concerné·es ;
– il propose un cadre de prise de parole pour les premier·es concerné·es ;
– il évite la configuration du questions-réponses et le face à face de l’entretien avec les chercheur·es ;
– il s’inscrit dans la réflexion méthodologique sur comment conduire de la recherche sur les terrains conflictuels et dans les situations de relations fortement asymétriques.
Les participant·es étant des personnes en demande d’asile, ce sujet traverse les échanges, tout comme plus largement celui de la migration, de l’accueil des migrant·es et des politiques européennes. A partir d’un partage d’expériences et de connaissances, nous produirons du savoir sur ces questions.
Nos productions sont un moyen de diffusion et de sensibilisation en direction du grand public. Pour autant, le sujet des migrations n’est pas le seul évoqué dans l’atelier, et pour changer le regard sur eux/elles, il est nécessaire de les voir aussi à travers les autres sujets qui les intéressent, en dehors de l’expérience migratoire.
Concrètement, la réalisation des émissions radio se déroule en trois temps :
– L’échange au sein du groupe
Le choix des thèmes, la construction du sujet et des questions d’interviews, la formation et l’entraînement aux techniques d’interviews et de prise de son, et enfin, la prise de parole par chacun·e sur le sujet se font entre participant·es dans l’atelier. Parfois, l’écoute d’enregistrements précédents permet d’approfondir le sujet.
– L’ouverture aux invité·es
Un autre temps est dédié aux interviews avec des personnes extérieures. Ces personnes peuvent être rencontrées dans un cadre défini et organisé – université, lycée, collectif, association ou autre – ou au hasard dans l’espace public. Le contexte d’interview dépend des envies, des sujets choisis et du type d’interview souhaité.
– Le montage et l’habillage des émissions
Le montage est réalisé par les animatrices et écouté en séance de l’atelier pour le faire évoluer avec les retours et les propositions du groupe. La prise de sons d’ambiance correspondant à un lieu et un contexte donné, création musicale, enregistrement de voix-off (explication, poème ou autre).
Article sur la méthode, écrit avec certain·es des participant·es pour la revue de la Mission Régionale d’Information sur l’Exclusion
Les créations de l’atelier, la diffusion
Documentaires sonores
Face au récit médiatique, notre parole – 21’40 – 2022
Le traitement médiatique de la question migratoire construit des politiques de rejet et une gestion policière des personnes. Il produit les pires préjugés et divise. Pourquoi le sujet prend une telle place ? Quelles continuités historiques peut-on y voir ? Ce sont les questions que ce sont posées des personnes qui sont placées au centre de ces débats sans jamais être invité à y prendre part.
A-t-on le droit d’exprimer sa colère ? – 35’24 – 2020
Cette question s’est posée au détour d’une conversation et nous avons décidé de lui consacrer un documentaire pour tenter d’y répondre. Les paroles évoquent les obstacles et injustices auxquels font face les personnes à la recherche d’un refuge. Cela fait naître la colère, mais est-ce légitime de la ressentir ? Que faire avec ce sentiment ? Et, que nous permet-elle de comprendre sur la façon dont la société française accueille les personnes qui cherchent un refuge ?
Dubliner et terroriser – 35’33 – 2019
Le règlement Dublin s’applique à tous les États Schengen et s’impose à tous les demandeurs d’asile de cette zone. Il les contraint à ne pas choisir librement leur pays d’installation. Il leur rend la vie impossible. Le documentaire sonore DUBLINER ET TERRORISER évoque par la parole de ceux qui le vivent au quotidien, ce règlement. Il analyse son fonctionnement et questionne sa logique.
Les mots des autres – 32’00 – 2018
Une série en quatre épisodes autonomes sur la ville – 2016-2017
De novembre 2016 à mars 2017, les ateliers se sont concentrés sur le droit à la ville, plus spécifiquement sur la vie dans la ville de Grenoble. Au fur et mesure des séances et à l’occasion de plusieurs rencontres avec des étudiants, les échanges se sont resserrés autour des thèmes de la rencontre, de l’accueil, de l’avenir et de la vie politique.
Qu’est-ce qu’une ville accueillante – 20’00
Rencontres en villes – 20’00
Grenobe, ville qu’on habite – 14’36
Imaginons-nous en politicien – 17’00
Émission mensuelle La voix qui crie dans le désert 2018-19
diffusée de septembre 2018 à juin 2019 chaque dernier mardi du mois sur Radio Campus Grenoble (90.8)
« Pour nous, demandeurs d’asile, l’Europe est devenue un désert. Personne n’est disposé à nous entendre. Les lois qui sont votées continuent de restreindre nos droits et rendre plus difficiles nos démarches. C’est comme si on crie et il y a personne.
Le rêve s’est interrompu en Europe.
Le désert est une métaphore pour décrire le calvaire qu’on traverse ici en France avec les questions administratives.
L’atelier radio nous donne l’opportunité de dire tout haut ce qu’on pense tout bas. Avec la radio, on peut se faire entendre. »
Tout est dit.
La voix qui crie dans le désert était notre rendez-vous mensuel pour partager avec vous nos questions, nos enthousiasmes (également musicaux), nos colères, et un bout de chemin.
Deux directs hors émissions – 2018
A plus d’une voix en direct 1 – 1h
A l’occasion des 25 ans de la radio Campus Grenoble, la radio a organisé 25h de direct ; l’atelier radio a été invité à animer une heure de ce direct. Il intervenait pendant le festival, Écoute(s). En équipe, nous abordons d’abord l’origine de ces ateliers, leur intérêt, leur mise en place et leur déroulement pour ensuite discuter un sujet qui nous tient à cœur : les procédures d’asile. Compte tenu du contexte actuel et du groupe de ces ateliers, ce sont les pratiques liées à la procédure Dublin qui sera le plus débattue dans cette émission.
A plus d’une voix en direct 2 – 1h – le 20 juin 2018
Émission radio en direct sur l’antenne de Radio Campus Grenoble lors de l’apérophonie, à l’occasion de la journée mondiale des réfugiés. Pendant 1 heure de direct, les participants de l’atelier radio ont conduit l’interview des 2 animatrices de l’atelier sur leurs motivations dans ce projet.
Promenades sonores
Afrique-Europe, le rêve en exil – 42’46 – 2018
Ceci est une promenade sonore conçue pour se dérouler à Grenoble dans le quartier Chorier-Berriat. Muni d’écouteurs, le public est invité à se promener au gré des indications de l’objet radiophonique diffusé dans les oreilles. Il ne s’agit pas d’une visite de la ville mais d’une association d’impressions, de paroles recueillies et d’ambiances enregistrées. Le parcours est jalonné par des extraits de débats et conversations qui se sont déroulés dans nos ateliers et qui feront l’objet d’émissions radio à part entière. Afin de poursuivre les débats mis en écoute dans la promenade, nous proposons à chaque fin de balade radiophonique réalisée avec nous, un échange entre le public et les participants au projet.
Sur la ville – 32’06 – 2017
Dans le cadre des Rencontres de Géopolitique Critique sur le droit à la ville en 2017, nous avons organisé une promenade sonore conçue à partir de nos documentaires sur le droit à la ville. Muni d’un mp3 et d’écouteurs, chaque participant s’est laissé guider par une balade sonore alliant voix, ambiances et musique entre la gare SNCF et L’ArTisterie (Fontaine). Cette immersion d’une trentaine de minutes s’est prolongée par une discussion sur l’accueil et la rencontre dans la ville.
Toutes les créations de l’atelier à écouter sur notre audioblog Arte Radio
Emission radio dans les Rencontres de géopolitique critique
Dans le cadre de la semaine de radio Faire monde des 5ème Rencontres de géopolitique critique, nous avons organisé une résidence avec l’équipe de Faratanin Fraternité (Clermont-Ferrand). Les deux collectifs se sont rencontrés le temps d’un week-end au Barkipass et se sont donnés le défi du détour de la fiction pour dire le réel.
Expérimentation de fiction radiophonique – 48’57
Cette émission est un tissage de différents moments du week-end réalisé par A plus d’une voix.
Les clermontois et les grenoblois se retrouvent – 1h
Cette émission du collectif Faratanin fraternité sur Radio Campus Clermond-Ferrand retrace le week-end de résidence.
Partenariat avec Radio Dragon
L’émission mensuelle l’Echo des montagnes qui traite de l’actualité des mobilisations de soutiens personnes en exil.
Emission de décembre 2020, 50’00
A partir d’un échange qui a eu lieu dans l’atelier radio en 2018 avec des personnes dont les parents ont immigrés en France, l’équipe de l’émission questionne les politiques migratoires.
Médias
Interview par la Maison de l’Image
L’atelier radio A plus d’une voix a été invité par la Maison de l’image de Grenoble. Le mois de la photo 2019 est consacré cette année aux « Murs et Frontières ». Séréna et Koffi nous racontent comment ce sujet est très discuté dans l’atelier radio parce que la frontière est vécue au quotidien par ses participants.
Interview à Radio Dragon
Pour annoncer la diffusion de nos documentaires sonores sur l’antenne de Radio Dragon dans le Trièves pendant plusieurs semaines dans le cadre de leur programme « Mezze », l’émission Au cœur du dragon nous interview pour expliquer notre travail.
Reportage sur les ateliers radio
A l’occasion de la journée internationale de la radio le 8 février 2019, Clémentine Méténier, journaliste indépendante a réalisé un reportage sur l’utilisation de l’outil radiophonique pour la Radio Télévision Belge Francophone. Elle a consacré une partie de son reportage à nos ateliers !
Les partenaires de diffusion
L’équipe
Les ateliers radiophoniques sont animés par Karine Gatelier, Séréna Naudin de l’équipe de ModOp et Koffi Rodrigue Kouame de l’ADA. Elles s’appuient sur les méthodes de l’éducation populaire, de l’anthropologie ainsi que le cadre méthodologique constitué par Modus Operandi par la mise en place d’espaces de paroles et arènes et la méthode de co-recherche.
46, rue d'Alembert
38000 Grenoble - FRANCE
Tél. 04 76 49 03 24
Contact e-mail