Pour une citoyenneté plurielle et radicale
Sous-titre : Cahier des 6es Rencontres de Géopolitique critique
Type : Cahier édité par Modus Operandi
Coordination : Karine Gatelier et Maud Weber
Mise en page : Clara Chambon
Impression : Atelier fluo
Date : février 2023
Il ne suffit pas d’habiter ce monde pour avoir des droits en partage : bien que nous en soyons tous et toutes les co-héritier·es, ce monde n’échappe pas aux divisions, aux ruptures et aux conflits. Une pratique politique de l’inimitié prédomine et organise les sociétés à travers le rejet en cloisonnant, séparant, excluant… cette politique agit en essentialisant les catégories sociales et dessinant des frontières entre nous. La frontière ne se réduit pas à un tracé cartographique. La frontière s’observe, elle voyage et circule avec les corps ; elle est mobile et participe à construire des hiérarchies. L’arbitraire du lieu et de la condition de naissance nourrit l’injustice sociale. L’invention de la citoyenneté a cherché à organiser la relation entre le peuple et le pouvoir, à aménager la participation politique et à nourrir une quête toujours plus grande d’égalité. Dans sa mise en œuvre, elle a été et est bien imparfaite en excluant certaines catégories (femmes, esclaves…) et en ne parvenant pas à s’affranchir de l’arbitraire de la naissance (instauration du suffrage censitaire par exemple). C’est par les luttes et les mouvements sociaux que, progressivement, la citoyenneté devient accessible aux populations évincées.
Notons d’ailleurs que le mot « citoyenneté » donne à entendre une pluralité de sens : du synonyme de « habitant·es de la cité » à « personne bénéficiant du droit de vote », en passant par l’idéal de « citoyen·ne du monde ». Cette pluralité participe à le galvauder, à le rendre flou et parfois même à lui conférer un caractère très ambigu. Cela conduit certain·es à rattacher ce mot à une logique d’appartenance à une nation, confirmant l’existence d’un imaginaire national. Une telle conception sous-entend un « dedans » et un « dehors », laissant implicitement émerger que certaines personnes seraient citoyennes légitimes et d’autres non.
Cette déclinaison de la citoyenneté laisse éclore l’idée que celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’imaginaire national n’épouseraient pas les valeurs de la république. L’instrumentalisation de ces valeurs s’impose pour dessiner les contours d’un modèle de citoyenneté refusant de penser la différence dans toute sa complexité. Le principe de laïcité est abusivement utilisé pour interdire plusieurs pratiques comme par exemple le port du voile dans certains espaces public. Les contrôles au faciès effectués par les forces de police montrent à l’évidence que tou·te·s les citoyen·nes ne sont pas perçu·es à égalité. S’il existe la catégorie de citoyen·nes, il existe implicitement la catégorie de « non-citoyen·nes » à l’instar de toutes ces personnes étrangères qui vivent, travaillent et paient leurs impôts et à qui on dénie le droit de participer à la décision politique. Pour certain·es d’entre elles et eux, travailleur·ses, parent·es d’élèves, voisin·es, l’État impose une précarité administrative.
En pensant la citoyenneté comme une base de l’égalité, on ouvre une fenêtre à sa dénationalisation.
La citoyenneté plurielle et radicale déconstruit l’essentialisation, en permettant à chacun·e de participer et d’être entendu·e. Les groupes se composent et se recomposent constamment, au gré des idées et des pratiques. Dès lors les personnes sont vues à égalité, en tant que sujets politiques et non pas comme des membres des catégories essentialisées et hiérarchisées.
Cette conception recèle un ensemble de droits politiques qui vient affirmer la puissance collective des sujets politiques à construire une organisation et à décider pour leur communauté. Cette communauté politique se fabrique dans des interdépendances et dans un espace-temps partagé, sources de solidarités et de conflits. Il ne suffit pas de dire que les citoyen·nes peuvent participer à égalité à la vie politique, encore faut-il examiner les rapports de pouvoirs pour agir contre l’inégalité d’accès à la parole. Pour cela, nous avons besoin d’une pluralité d’espaces pour nous rencontrer, discuter, partager, se dire les désaccords, voire élaborer des discours contestataires ouvrant ainsi la voie aux transformations sociales. C’est à partir de cette conception que nous souhaitons investir l’idée d’une citoyenneté en actes : une pratique du politique qui reconnaît des existences sociales et l’appartenance à un espace commun. La communauté a besoin d’être repensée comme une politique de l’accueil où chacun·e puisse prendre place.
L’association Modus Operandi et ses partenaires entendent se saisir du terme « citoyenneté » dans toute sa complexité et ces incertitudes lors des sixièmes Rencontres de géopolitique critique qui auront lieu à partir du 14 mars 2022 dans l’agglomération grenobloise.